Une expérience vécue

« Lettres aux chercheurs spirituels – Récits autobiographiques »

par Jean-Michel Jutge

Extrait page 25

© 2014 Editions Elliance

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Le processus s’était activé au cours d’une pratique de yoga toute banale, comme tant d’autres personnes ont déjà pu en faire. Je ne pratiquais le Hatha-yoga que depuis un peu plus de trois ans, et j’étais en train de faire ma séance quotidienne. C’était une fin d’après-midi. Je me suis souvent demandé ce qui avait déclenché en ma personne ce phénomène alors que les exercices réalisés n’avaient rien d’exceptionnels. En fait, de multiples facteurs sur lesquels j’ai par la suite réfléchi ont dû intervenir, mais j’y ai découvert aussi plus récemment une prédestination.

Voici comment s’est déroulé le processus. J’étais dans ma chambre et, après une longue pratique de Hatha-yoga, je réalisais quelques pranayamas, ou exercices respiratoires. Au bout de quelques minutes, j’atteignais un état où le mental s’apaisait complètement. J’avais pour habitude de ne pas préparer les séances et de les mener suivant les demandes du corps, de manière tout à fait intuitive. Ce jour-là, j’étais parvenu, grâce à une pratique bien menée, à un silence et une paix d’une grande profondeur, et cela, je pense, a été déterminant sur la suite des évènements. Le corps était totalement détendu et je faisais un exercice de yoga des yeux afin d’améliorer ma vue. La respiration tout au long de cette heure et demie de yoga m’avait mis quelque peu dans un état second, le corps en sur-oxygénation. J’avais donc au moment de cet exercice pour les yeux une respiration très courte et pour ainsi dire inexistante, la demande en oxygène étant pratiquement nulle. Le regard était tourné vers le bas. Au bout de quelques mouvements, j’eus alors l’impression que celui-ci se révulsait d’un seul coup vers l’intérieur, comme si mes yeux physiques se retournaient vers l’arrière. En réalité, ils n’ont pas tourné. C’était juste une impression. Je vis à ce moment-là un phénomène de perspective, comme si mon regard plongeait dans la colonne vertébrale par le haut, et cela se présentait sous la forme d’un tunnel avec au bout une lumière. Lorsque je vis cette lumière, elle fut spontanément projetée vers moi. J’ai alors senti monter dans le dos le même picotement très fin dont je vous ai déjà parlé. En quelques secondes, celui-ci se développa jusqu’à la nuque. Je n’ai donc pas résisté à ce qu’il se passait. J’ai laissé faire et l’énergie est montée jusque dans la tête.

Là, a commencé à se déverser un flot d’énergie et de picotements dans tout le corps. En même temps que cette énergie se développait, j’avais l’impression que ma sensibilité s’amplifiait. Je devenais plus sensible à tout ce qui m’entourait. L’énergie ne cessait de s’amplifier en intensité. À chaque seconde qui passait, le flot qui montait dans le dos était plus puissant, un peu comme un courant électrique, lorsque l’on met le doigt dans une prise. Et le phénomène s’amplifiait d’instant en instant. J’étais un peu affolé. Je me suis alors dit : « Je vais aller prendre l’air, cela me fera peut-être du bien ». J’étais vigilant, mais le fait même d’être vigilant, attentif à ce qui se produisait amplifiait encore l’énergie et paradoxalement, l’énergie me rendait encore plus vigilant.

Je sortais de chez moi et décidais d’aller au centre ville. J’habitais un peu en dehors de la périphérie du village. Le phénomène continuait d’augmenter vers toujours plus d’énergie, de sensibilité, et d’attention. Tout en traversant un champ, apparut à un moment donné au-dessus de ma tête une petite colonne haute de quelques centimètres et large à peu près d’un centimètre et demi. Celle-ci avait une couleur violette transparente, comme un objet posé sur la tête. À l’intérieur tournait une sorte de fumée. Je devinais que cela était un aspect de l’énergie se développant dans mon corps et passant par cette colonne, comme un prolongement du tunnel que j’avais vu précédemment, mais immatériel. Je constatais également que cette colonne pouvait se déplacer sur la tête. Lorsque la colonne était maintenue au sommet du crâne, l’énergie qui se déversait en moi se stabilisait, arrêtait de s’amplifier, et je me sentais en équilibre. Par contre, la colonne, elle, demeurait instable, et si je ne faisais pas attention, elle basculait vers l’avant. Lorsqu’elle venait se poser sur le front, un flot d’énergie encore plus puissant montait à travers le corps et m’envahissait. L’intensité de celle-ci commençait à chauffer énormément. Tout l’intérieur du corps me brûlait et tous mes sens vibraient, alors qu’une luminosité se développait dans la tête. Je constatais donc que j’avais un pouvoir sur cette colonne grâce à ma volonté. Je pouvais soit la maintenir au-dessus de la tête, soit la faire descendre sur le front. L’intention suffisait, comme lorsque l’on bouge une main, ou un bras. Je m’efforçais de la maintenir au-dessus de la tête, par la force de l’esprit.

Après avoir traversé la campagne, j’arrivais à la ville, croisais quelques personnes. Je découvrais alors un autre phénomène surprenant. Lorsque je regardais quelqu’un, ma conscience se modifiait totalement. Soudainement, la manière dont je voyais le monde se transformait instantanément. Pour que vous compreniez ceci, je vais vous donner une image. Prenez par exemple un appareil photo. Mettez-y un filtre, et regardez à travers celui-ci. Mettez un filtre bleu, ou un filtre jaune, ou une lentille déformante qui agrandit les images ou une autre qui les rapetisse ou qui donne plus de distance, une autre qui rapproche, une qui fait apparaître certains détails ou une qui en enlève certains et en fait apparaître d’autres. Imaginez encore d’autres modifications et combinez tout cela de différentes manières. Ainsi la manière dont je percevais l’environnement changeait à tel point que parfois je reconnaissais à peine le monde qui m’entourait par rapport à l’instant auparavant. En rencontrant de plus en plus de monde, cela devenait un festival de transformations. Chaque seconde qui passait, cette rencontre avec la conscience de la foule était comme une succession d’univers qui défilaient devant mes yeux. C’était comme si ma conscience entrait en fusion avec les personnes présentes et qu’elle s’imprégnait de l’état de conscience des autres individus. À ce moment-là, ma conscience reflétait le monde tel que l’autre le percevait. Ainsi je découvrais que chaque individu, en temps ordinaire, voit le monde différemment. La conscience de chacun reflète des aspects différents de la réalité. J’arrivais à la terrasse d’un café, tout en maintenant la colonne au-dessus de la tête. J’aperçus alors des amis, et je m’installais avec eux. Comme vous vous en doutez, la relation qui s’en suivit m’apparut très spéciale. Je finis par rentrer chez moi. Le soir arrivait, et j’allais me coucher malgré tout peu rassuré, en m’efforçant de maintenir cette colonne au-dessus de la tête.

Après environ quatre heures de sommeil, il devait à peu près être deux à trois heures du matin, je me réveillais subitement pris dans un océan de lumière et d’énergie, le corps littéralement en feu, une lumière éblouissante devant les yeux. Cette puissance d’énergie m’avait réveillé et je ne savais plus que faire. C’était apparu d’un seul coup et cela s’amplifiait de plus en plus. C’était tellement fort que cela m’aveuglait. Pourtant, en sortant de ce sommeil, je gardais cette impression de sortir d’un gouffre sans rêve et sans existence. La nuit était assez noire, ce qui rendait le phénomène d’autant plus impressionnant. J’avais cette luminosité dans la tête et cela augmentait de plus en plus. Je me dis alors : « Bon, ça y est, c’est fini, je ne peux plus rien faire, je vais mourir, puisque c’est ce qui doit se passer avec la Kundalini ». La sensation du corps qui brûlait de l’intérieur de plus en plus intensément ne faisait que me confirmer dans cette opinion. Pour vous donner une idée de l’intensité présente, imaginez que vous mettiez votre main sur une ligne à haute tension. J’étais mort de trouille. J’avais tout de même quelques notions du travail sur l’énergie, par le yoga. Je savais que pour renforcer la vitalité du corps il fallait charger le ventre et j’avais appris à travailler avec les mains. J’amenais donc mes mains sur mon ventre et par le souffle j’y insufflais un peu d’énergie. Cela eut pour effet de calmer mes peurs, mais cela n’a pas calmé le phénomène qui a continué de s’amplifier de plus en plus. À un moment je commençais à ne plus pouvoir bouger. Et cela devenait tellement puissant que j’arrivais à ne plus rien percevoir. La sensation que j’avais de mon corps n’était plus que du feu. La perception que j’avais de l’extérieur n’était plus que de la lumière. Tous mes sens étaient tellement saturés d’énergie que je finissais par ne plus rien percevoir d’autre et pratiquement par ne plus pouvoir bouger. Je perdais conscience des choses. Je n’avais plus grand espoir de quoi que ce soit et je pensais à l’une des paroles de Krishnamurti que j’avais rencontré quelques semaines auparavant et qui disait : « Quelles que soient les épreuves dans votre vie, observez, placez-vous en observateur ». C’est ce que je fis. Je me suis dit : « Je vais me placer en simple observateur et je verrai bien où je vais aller, ce qui va se passer ». Et je me suis abandonné à mon destin. Le phénomène a continué à s’amplifier. À un certain moment, j’ai complètement perdu la perception du corps et de la conscience. Il n’y avait plus que de l’énergie et de la lumière. Puis j’eus une impression de dilatation dans l’univers, comme si je me dilatais de plus en plus dans celui-ci, jusqu’à l’infini, jusqu’à toucher les limites de l’univers, avec cette impression de devenir immense, immense, et à l’instant où j’atteignais les limites de l’infini, d’être réduit à la taille d’un point sans dimension, le point infini, de n’être plus rien, et tout en n’étant plus rien, de toujours exister quelque part dans ce point. Cela a peut-être duré une seconde ou dix minutes, mais je n’avais plus de notion de temps dans cet état. Impression bizarre que celle de disparaître et de ne plus exister. Ce n’est pas seulement rien du tout dans l’espace, c’est rien du tout dans l’existence. C’est comme si à un moment donné l’on entrait dans la non-existence. Pourtant il fallait bien que quelqu’un soit là pour vivre tout cela. Mais en dehors de cela, il n’y avait rien d’autre. Curieux paradoxe. Et puis à un moment donné, doucement, j’ai commencé à revenir à ma propre présence, et à m’apercevoir que j’étais toujours là, que j’existais toujours. Mais je n’avais toujours pas conscience de l’environnement. Tout cela est revenu progressivement avec cette sensation de revenir à l’existence.

Le temps passait, puis je reprenais conscience et ressentais à nouveau et progressivement mon corps. Quelques instants après, au prix d’un effort, j’arrivais à ouvrir les yeux. La lumière et l’intensité d’énergie n’avaient pas décru. Bien au contraire. Je regardais autour de moi la pièce dans laquelle je me trouvais. À travers les volets, un peu de lumière passait. J’habitais dans une cité éclairée par des lampadaires. Mais la pénombre n’était pas complète. Je voyais un peu les murs, et j’observais la chambre dans laquelle je me trouvais. Les murs vibraient. Tout ce que je regardais était vu sous une forme d’énergie. Les murs n’étaient plus que de l’énergie. L’air que je regardais n’était plus que de l’énergie. Je soulevais la tête pour observer mon corps. C’était en plein milieu de l’été, il faisait très chaud, je dormais sur les draps. Mon corps n’était, lui aussi, plus que vibration et énergie. Une lumière irradiait de lui comme des milliers de petits points lumineux, de manière très dense sur un pourtour de dix à quinze centimètres, et en devenant progressivement plus diffus au-delà. Tout clignotait, l’univers était pure énergie. J’étais toujours couché et je commençais à percevoir des flots de lumières blanches et bleues qui passaient par vagues devant mes yeux et s’éloignaient vers un point éloigné. J’eus alors comme une sorte de révélation sur mon état actuel, je savais quelle était ma destinée et ce que je devrais en faire. J’ai alors entendu dans ma tête une voix qui me dit spontanément : « Maintenant tu dois donner ». Cette voix était suffisamment puissante pour ne pas être issue de mon imagination. Elle était là comme un ordre, comme une nécessité, comme un destin auquel je ne pouvais échapper. Sur le moment, je n’ai pas vraiment réalisé la signification de la chose, mais je pense que celle-ci s’adressait plus à mon être qu’à ma conscience. C’est alors que je réalisais que j’étais toujours vivant, mais que mon état demeurait instable, et que le flot s’amplifiait toujours de plus en plus. Mon corps était déjà très éprouvé. Ce flot commençait à apparaître en différents points du corps, qui correspondaient à ce que le yoga appelle les chakras. Et même entre les chakras apparaissait une sensation de chaleur comme provoquée par un liquide bouillant. Je me suis alors dit qu’il fallait faire quelque chose.

Je commençais à nouveau à pouvoir penser correctement. Je réfléchis un peu. Mes parents dormaient à côté. Je ne devais pas les réveiller. Il valait mieux ne pas les affoler, et puis de toute manière ils ne pourraient rien faire. Je pouvais à nouveau bouger naturellement. Mon professeur de yoga était partie en vacances, mais son propre professeur résidait à Aix-en-Provence. Cette ville était à plus de vingt kilomètres de chez moi. Il devait être plus de quatre heures du matin. Je décidais de m’habiller et d’aller voir cet homme. Je pensais qu’il saurait me conseiller sur la marche à suivre car j’avais pratiqué avec lui certaines formes de yoga de l’énergie, et je lui attribuais une grande compétence en la matière. Avec précaution, je quittais la maison et commençais à faire le chemin qui me séparait de la ville d’Aix-en-Provence. La force qui se libérait en moi continuait de s’amplifier de plus en plus. Chaque pas que je faisais me donnait l’impression de faire des bonds. Pourtant je marchais simplement rapidement. Paradoxalement le temps s’accélérait, mon rythme intérieur s’accélérait.

Un nouveau phénomène apparaissait : le mécanisme de la pensée se modifiait. Dans son mécanisme habituel, chacune de nos pensées apparaît quelques instants dans notre esprit pour disparaître et laisser en général la place à une autre. Toutes ces pensées se succèdent à leurs rythmes et ne sont que simple stimulation à la surface de notre cerveau. Elles demeurent en général stériles, quelques fois nous font comprendre des choses, ou d’autres fois nous amènent un certain plaisir. Si une action naît d’elles, elle prend racine dans nos désirs ou dans nos craintes, parfois au détriment de la logique ou de la lucidité. La pensée reste profondément intellectuelle et liée au cerveau. Ici, la pensée changeait de nature. Tout d’abord un espace naissait entre elles. Les pensées se succédaient de manière linéaire en laissant un court instant de vide entre elles, dans lequel elles demeuraient absentes. Par ailleurs leur rythme de défilement s’accélérait comme tout ce qui paraissait m’habiter. Mon corps et mon esprit vivaient à cent à l’heure. Chaque pensée, au lieu de simplement disparaître, arrivait comme à une finalité, où elle était vue dans sa nature, et trouvait son accomplissement propre. D’ailleurs, cela dépassait le cerveau, car la pensée à ce moment-là l’avait quitté pour créer un autre espace au-delà de la tête. Dans cet accomplissement, c’est comme si la pensée explosait, et se transformait elle aussi en énergie pure. Ainsi toutes les idées qui me traversaient l’esprit, pour résoudre ma situation, finissaient par éclater avant même que j’aie pu me pencher sur elles. Et le rythme s’accélérait de plus en plus. Je rentrais profondément dans le mental, la conscience. Au fur et à mesure, tout ce que je rencontrais au niveau de la conscience explosait. L’énergie s’amplifiait encore. Je profitais d’utiliser cette nouvelle force du mental pour envoyer des messages d’aide dans l’univers espérant peut-être contacter par l’esprit Krishnamurti ou quelqu’un d’autre qui pourrait m’aider. Mais les pensées, sitôt qu’elles me quittaient se transformaient en énergie pure. Enfin, je ne pus même plus penser, car elles finissaient par exploser avant même d’atteindre le cerveau. Je ne pouvais même pas matérialiser mes idées car elles étaient immédiatement et spontanément désintégrées avant même d’être actualisées.

L’énergie s’amplifiait toujours plus, et la vigilance qui naissait à l’intérieur de moi amplifiait ma sensibilité. C’était quelque chose d’extraordinaire, avec une sensibilité modifiée, en expansion permanente, comme si je me fondais dans cet univers. Et j’avais l’impression que si cela continuait de cette manière, je finirais par me désintégrer totalement, physiquement et psychiquement. Puis, j’eus comme une sorte de choix à faire. Mon corps physique était littéralement en feu. La sensation de liquide bouillant, comme autant de fontaines de feu, s’écoulait toujours plus intensément à travers les chakras. J’avais donc ce choix à faire entre la désintégration totale supposée, où je me serais fondu dans l’univers, ou rester bien vivant, incarné sur cette terre. Mais tout cela n’était pas des pensées qui me traversaient l’esprit car vous l’avez compris, le mental n’était plus un instrument utilisable. C’était plutôt une évidence quant à l’orientation de mon état.

J’ai dû faire plusieurs kilomètres faisant du stop, le pouce levé, espérant qu’une voiture s’arrête et puisse me conduire à ma destination. Je traversais toute la ville, j’ai peut-être marché pendant deux heures. Peu de voitures circulaient, aucune ne s’arrêtait. Je traversais une zone industrielle, et passais sous un pont. À un moment donné, spontanément, au-dessus de la tête, réapparut la petite colonne. Immédiatement, l’énergie se stabilisait. Et là j’ai compris que pendant la nuit, probablement pendant mon sommeil, cette colonne avait basculé vers l’avant, ce qui avait permis cette expansion de l’énergie. Je pouvais à nouveau penser librement, normalement. Cela a duré quelques minutes, pas très longtemps, et je me mis à prier Dieu, comme un dernier espoir, alors que j’étais athée. J’avais bien eu une éducation chrétienne, mais j’avais rejeté la religion comme étant sans importance, futile. Donc, spontanément, je me suis mis à prier Dieu, et je lui disais que je ne voulais pas mourir, que je voulais vivre sur cette terre, et d’autres choses encore …

Je poussais alors un gros soupir et c’est à ce moment-là que toute la situation changea. Immédiatement, toute cette énergie qui m’avait traversé, jaillit par le sommet du crâne comme un jet de feu littéralement bouillant qui retombait de chaque côté du corps, m’enveloppant d’une « aura » merveilleuse, pendant que coulait dans la colonne vertébrale ce même liquide couleur or crème, et remontant vers le haut à une vitesse incroyable comme attiré par un aimant. Cela m’a traversé de part en part, comme un flot bouillant dans la colonne vertébrale mais en même temps d’une extase et d’une jouissance inimaginables. C’était un flot de plaisir et de bonheur qui traversait la colonne. J’éprouvais à la fois un sentiment de joie, de bonheur, de plaisir, d’amour, de béatitude, de jouissance, de lucidité, toutes sortes d’émotions, et vous rajoutez toutes les émotions les plus positives et les plus fortes que vous avez vécues dans votre vie, vous les multipliez par dix ou par cents pour l’intensité et peut-être cela pourrait traduire la situation. Mais de toute manière, ce ne peut être imaginé. C’était insupportable, tellement fort que tout le corps, tel un fétu de paille dans la tempête, était pris de secousses, éclatait de rire, et en même temps fondait en larmes, à travers toutes les émotions que l’on peut vivre, tout cela en même temps. Le corps était comme un pantin au bout d’une ficelle et subissait totalement les choses. À ce moment-là, je n’étais plus un homme, j’étais un Être divin. Ma nature était divine avec cette impression que l’on venait de me poser sur la terre tel un Ange, réellement une entité divine que l’on pose là. Le monde lui-même était perçu comme un paradis. Ma première parole à cet instant fut un « oh ! » d’admiration devant l’émerveillement et la beauté du monde qui m’entourait. Il y avait quelques brins d’herbe sur le bord de la route, quelques chardons. C’était tellement magnifique, merveilleux, le paradis sur terre. Je me vivais comme étant d’Essence divine. Dans mon centre, j’étais cette Essence, et ce centre n’était plus dans ce corps mais partout. Vous vous découvrez d’Essence divine et tout ce qui vous entoure devient paradisiaque et divin ! En même temps, un autre phénomène accompagnait tout ceci. Le temps changeait de nature. Alors que tout ce feu traversait ma moelle épinière pour sortir par le sommet du crâne, le temps s’était arrêté. Il avait pris fin à cet instant. J’étais sorti du temps. Par ailleurs, l’intensité de vie était tellement forte, que je vécus dans la journée qui suivit avec cette sensation d’avoir vécu pendant un siècle. Ainsi, je découvrais que notre perception du temps est élastique et proportionnelle à notre intensité de vie. Pour l’enfant, le temps est long alors que vers la fin de notre vie, celui-ci s’accélère. Mais là, le temps avait pris fin. Ainsi, si le corps continuait à vivre selon ses rythmes biologiques, l’esprit, lui, ne percevait plus que la réalité du présent. Je reviendrai sur cet aspect des choses. D’autres phénomènes se produisaient. Le mental était présent. Mais simultanément la totalité du mental, des pensées, étaient présents à l’esprit, et cela n’était pas une cacophonie, mais comme un feu d’artifice où chaque pensée était une lumière d’une profonde beauté. Le flot d’énergie qui ressortait par le sommet du crâne retombait comme une pluie de lumière d’or tout autour de moi et m’enveloppait dans une aura merveilleuse que je pouvais rétracter ou développer à volonté. Je découvrais un pouvoir de contrôle total sur ce flot d’énergie. C’était comme un jouet merveilleux. Des révélations me venaient à l’esprit, me tombaient littéralement dessus, et cela devait se poursuivre plusieurs semaines. Je reviendrai là aussi sur cet aspect des choses. Aussi puissante avait été la tension, aussi puissante fut la décharge. L’instant du soupir, où l’énergie traversa le sommet du crâne, fut l’instant de basculement. C’était comme une naissance. J’étais né une première fois physiquement, je naissais une seconde fois, et j’étais l’enfant de cet univers. Un Être naissait au fond de moi car celui-ci était nouveau, il n’existait pas pour moi auparavant, et il était mon nouveau centre. Mais « au fond » n’est pas le mot exact, car il était partout, et j’étais lui, le corps était au centre. L’image que je pourrais en donner est celle du phœnix, car en même temps quelque chose est mort en moi, – et aujourd’hui encore, cette chose me reste inconnue, inaccessible à ma conscience comme si elle n’existait pas et n’avait jamais existé – mais autre chose est née. Et cette autre chose est devenue moi-même.

Alors que j’étais en pleine crise de rire, de larmes, de bonheur, crise qui de l’extérieur pouvait passer pour de l’hystérie, tout à coup, un gros camion arriva en face de moi et s’arrêta sur le chemin. Le chauffeur en descendit, j’étais complètement hilare, et il commença à me parler, à me demander son chemin, il ne savait pas où il était. Quelque chose d’extraordinaire se passait. Cet homme me parlait, et celui qui me parlait était un être divin, enveloppé dans une aura de lumière magnifique, avec son propre parfum. Cet homme était enveloppé dans une magnifique lumière, dans la présence de l’Être. Il était comme moi. Et alors là, je m’interrogeais profondément. Je venais de découvrir une Divinité en moi, quelque chose de divin, une nature divine, et je voyais aussi cet homme comme un Être divin. Et je me suis dit : « Comment est-ce possible ? Moi, je viens de naître, et lui est déjà comme cela ! » Par la suite, je rencontrais encore d’autres personnes, et je découvrais tout le monde ainsi, des anges sur terre. Et je me dis : « Serais-je le dernier à apparaître dans cet état, à naître sur cette terre ? Mais alors quelle conspiration du silence ! » C’était quelque chose de complètement fou. Mais je me suis vite aperçu que le comportement des individus ne correspondait pas du tout à l’état dans lequel je les percevais. Encore un paradoxe. Cette réalité était là, et c’est comme si tout le monde faisait comme si elle n’existait pas. Je me doutais pour l’avoir vécu que l’humanité ignorait sa propre réalité. Mais mes sens me révèlent depuis ce jour l’être humain comme quelque chose de totalement différent, et je dois jongler en permanence dans ma conscience pour me dire, tu vois un Être divin, mais lui ne le voit pas. Et ainsi le monde paraît absurde entre ce que nous sommes et la manière dont nous nous évertuons à nous comporter comme si nous n’étions pas cela. Cet homme, après avoir posé ses quelques questions, eut l’air bien fatigué. « Je crois que je vais allez dormir » dit-il. Il remonta dans sa cabine, et tira les rideaux. Je me dis ce jour-là : « Si chaque être humain vivait cette expérience, la face du monde en serait changée ».

Je continuais à faire du stop, bien que cela n’ait plus grande importance. Mais puisque j’étais sur la route, autant aller voir la personne que je voulais rencontrer et lui raconter mon émerveillement et la chose exceptionnelle qui venait de m’arriver. Nous nous en réjouirions ensemble, car j’avais grande estime envers cet homme, George[1], que je considérais comme un yogi accompli. Une voiture s’arrêta, pour m’amener à Marseille. De là, je trouvais une autre voiture pour m’amener à Aix-en-Provence. Cela faisait un petit détour, mais peu importe, je n’étais plus aussi pressé. Je ne sais pas comment les personnes que j’ai rencontrées me percevaient, mais il m’était difficile de contenir mon nouvel état. Je débarquais ainsi à Aix-en-Provence, parcourant la ville, mais je ne trouvais pas George. Je me rendais alors chez un professeur de do-in et shiatsu, Laurent ¹, que je considérais comme un sage, afin de me procurer l’adresse de George. J’avais bien l’intention d’expliquer à Laurent ma situation. Mon seul désir était de partager ce cadeau du Ciel. Lorsque je sonnais à la porte de Laurent, je rencontrais un homme bien différent de celui que j’avais connu. Mais peut-être mon regard y était-il pour quelque chose. Une chose me surprit alors. J’étais dans l’incapacité d’exprimer ce que j’aurais aimé dire à ce moment-là. Non pas parce que je me sentais bloqué, bien que d’une certaine manière il s’agissait un peu de cela, mais parce que cet homme était dans l’incapacité de recevoir ce que j’avais à dire. Pour une raison quelconque, qui dépasse la simple conscience, ce phénomène s’est reproduit depuis bien souvent dans la relation directe. Si l’autre ne peut entendre, je ne puis exprimer. Toute la volonté du monde ne peut rien y faire. Ainsi, je découvrais également que toute forme d’efforts était devenue impossible. La volonté à la source de l’effort avait disparu. Si je n’étais pas capable de faire quelque chose naturellement, je n’étais pas capable de le faire du tout. À partir de là, la seule évolution possible pour réaliser quelque chose qui m’aurait demandé un effort, était de me dire : « Comment arriver à le faire naturellement ? » Et paradoxalement, la seule manière d’apprendre le naturel était d’intégrer la conscience en rapport avec ce que je voulais réaliser, c’est-à-dire désapprendre. Je constatais qu’à partir de ce jour, alors que jusque-là ma personnalité n’avait cessé de se développer, mon Être prenait le relais, et la personnalité ne constituait plus qu’un réservoir de conscience dont l’Être pouvait s’habiller ou se défaire mais qui de toute manière était destiné à être intégré. Ainsi, ce qui était auparavant le moteur de l’action devenait l’obstacle et n’était plus que conditionnement inactif. Laurent me laissa à la porte. J’étais un intrus, je devais paraître fou, avec mon sourire de Bouddha, mes yeux qui étaient remontés et mes paupières qui tombaient jusqu’à la moitié de la rétine, mes tremblements et tout le reste. J’insistais avec un ton d’urgence pour lui demander l’adresse de George, ce que je réussis à obtenir. Mais je ne trouvais pas George à son domicile.

Je finis par prendre le chemin du retour, après avoir tout de même téléphoné à mes parents afin de les rassurer sur mon absence. En cette fin de journée, j’avais vécu d’une intensité inimaginable, et ce n’était pas fini. La puissance d’énergie décrut sur une durée de trois semaines environ durant lesquelles ce fut révélations sur révélations. Pendant deux à trois jours je ne pus ni manger ni dormir, je n’avais pas faim, je n’étais pas fatigué. Le troisième jour, le seul aliment que je pus commencer à prendre était du lait ou des produits laitiers. Je constatais que ceux-ci avaient pour effet de temporiser l’énergie, puis je pus dormir quelques heures, et tout finit par rentrer dans l’ordre.

Je n’étais plus le même homme, tout me paraissait facile, merveilleux. J’avais une mission, je comptais bien l’accomplir, mais c’était compter sans la résistance du monde.

[1] Certains noms dans ce texte ont été modifiés

lotus

« Lettres aux chercheurs spirituels – Récits autobiographiques »

par Jean-Michel Jutge

Extrait page 49

© 2014 Editions Elliance

J’ai parlé d’une naissance pour décrire le nouvel état dans lequel je me trouvais après l’éveil de Kundalini, et j’ai vraiment eu l’impression de devoir tout réapprendre avec un nouveau regard. Ainsi, je me rappelle par exemple m’être retrouvé un stylo à la main, et avoir eu un instant d’hésitation, ne sachant comment écrire. Et lorsque les mots se sont enchaînés, avoir fait cet acte de manière neuve, le découvrir au fur et à mesure qu’il s’affirmait.

Ceci s’est confirmé pour beaucoup de choses, et la manière dont j’abordais l’existence se faisait avec une conscience inversée, comme si j’avais toujours vécu dans le miroir, et que tout s’était remis à l’endroit. Auparavant je ne voyais du monde que ce que ma conscience me renvoyait, celle-ci s’interposant entre lui et la vision que j’en avais. Mais là, la conscience restait derrière, et par cette nouvelle situation, semblait s’être inversée, ma perception étant directe. Ainsi la conscience ne m’apparaît-elle plus que comme un miroir sur lequel s’accumule l’image de nos expériences, et reflétant le présent, celui-ci se reconnaissant dans celle-là. Mais n’est-ce pas le miroir qui est inversé ? J’ai parfois l’impression de vivre au sein d’une humanité qui prend les choses à l’envers.

Pendant un peu plus d’une année, je dus tout réapprendre, et je vivais une succession d’expériences et d’états que je ne contrôlais pas toujours mais qui rendirent difficile la vie dans laquelle je m’étais engagé jusque-là. Une année d’études où j’étais ballotté entre la découverte d’un monde et d’un univers fascinants et la nécessité d’accomplir un retour vers les tâches qu’exigeaient mes études, les travaux à l’hôpital la matinée, les cours dans les amphithéâtres l’après-midi, les travaux d’études dans ma petite chambre d’université le soir, ce qui m’occupait à peu près douze heures par jour, et des états de samãdhi qui saisissaient chaque occasion pour se manifester.

Chaque état de samãdhi était une percée à travers la conscience me faisant percevoir la réalité au-delà des apparences sensorielles. J’avais beaucoup de mal, surtout au début à me concentrer sur mes leçons qui m’obligeaient à mémoriser systématiquement des pages et des livres d’anatomie, de physiologie, etc… D’ailleurs, dès que je me concentrais sur quelque chose, l’esprit s’absorbait, et cela a duré longtemps, aussi longtemps qu’il y eût une terre inconnue et nécessaire à explorer. Imaginez que vous ouvrez votre cahier, vous commencez à lire, à essayer de mémoriser, et sans vous avertir, les mots grossissent, ondulent, et vous vous retrouvez happé dans quelque dimension de l’esprit, n’ayant plus qu’un lien ténu avec votre table de travail, jusqu’à ce que vous reveniez tranquillement pour poursuivre votre leçon, avec un esprit plus vaste, certes, ou une compréhension accrue de l’univers ou de votre nature mais sans avoir pu avancer d’un pouce sur cette tâche des plus ardues qui est celle d’accumuler des informations.

Ou bien vous soignez un malade, lui massant une plaie, et votre esprit entrant en union avec sa souffrance, n’ayant plus de barrière, vos énergies se transfèrent tout naturellement vers cet être qui en a grand besoin, vous laissant tellement vide qu’il vous faut vous enfuir pour récupérer. Je mettais deux fois plus de temps à réaliser les choses. Mais quelles merveilles de voir ces « anges » que sont les êtres humains, avec leur aura, leur conscience, leur être. Tout cela m’apparaissait dans toute sa splendeur, et chaque individu était un univers à lui tout seul qui méritait mon attention et mon intérêt.

Ainsi, les envolées de l’esprit me faisaient découvrir le monde sous un tout autre aspect. Je pénétrais dans les pierres et les éléments de la nature, goûtant leurs essences jusqu’à en devenir parfois ivre, ou bien je plongeais dans les profondeurs de moi-même découvrant des espaces de paix, de plénitude, ou des dimensions que je ne soupçonnais pas. Au bout d’une année d’études supplémentaire, je dus me rendre à l’évidence que je ne pourrai jamais exercer cette profession, de par les contraintes qu’elle m’imposait. J’avais autre chose à faire : il me fallait enseigner le yoga et rendre accessible à l’être humain toutes ces merveilles.

Je voudrais expliquer ici ce que sont ces états d’absorption dans les choses que la science du yoga nomme samãdhi. S’ils étaient nombreux et fréquents dans la période qui a suivi l’éveil de la Kundalini, ils se sont, avec le temps espacés de plus en plus pour réapparaître par la suite périodiquement mais toujours sous de nouvelles formes. Tout d’abord comprenons la nature du samãdhi. La Kundalini dans son éveil complet est un samãdhi, c’est-à-dire la percée de l’esprit, qui, quittant son emprisonnement au fond de la matière (le corps), des instincts (le vital) et de la conscience (le moi), trouve sa liberté en reprenant contact avec notre nature divine profonde. Mais à travers cette percée ne seront transformés chez l’individu que les aspects de celui-ci faisant obstacle à cette percée.

Ce qui veut dire qu’un éveil de Kundalini ne constitue en rien un état de perfection, tout au plus un instrument supplémentaire nous permettant de réaliser celle-ci pour le peu que nous voulions nous perfectionner, c’est-à-dire accomplir totalement notre vocation et notre nature divine. La Kundalini est donc une brèche dans le chaos et l’obscurité humaine à travers laquelle nous pouvons avoir accès à la réalité, la plus haute étant ici celle de notre réalité divine. Chaque fois que nous empruntons cette brèche, cela l’agrandit et se traduit par un état de samãdhi c’est-à-dire une perception des choses dans la nature même des choses perçues sans que la conscience ou tout autre forme de conditionnement intervienne, à travers la simple présence de l’esprit et de l’être.  Plus la brèche s’agrandit, plus le voile du conditionnement disparaît, laissant de plus en plus souvent l’esprit dans un état de vacuité qui est samãdhi naturel ou rien ne fait obstacle entre le profond et la périphérie.

Un deuxième fait vient se rajouter à ce mécanisme. Lorsque l’esprit se rend compte de cette double nature, de son état de liberté dans la vacuité et des limites de celle-ci constituant donc les limites de la brèche, il n’a de cesse de faire reculer celles-ci, entrant en samãdhi sur la conscience elle-même, vecteur de ses limites et du conditionnement. Commence alors un lent processus d’intégration, ou de désintégration de la conscience, se transformant alors en Supra-conscience qui est à l’être ce que la conscience ordinaire est à l’ego.

D’autres états succèdent à celui-ci ; mais nous pouvons penser qu’une personne ayant éveillé sa Kundalini mais n’ayant pas réalisé la nature illusoire de la conscience posséderait cette double ambiguïté : celle d’avoir un esprit libre tout en continuant à vivre sur ce que la conscience nous renvoie, sachant au fond de soi où est la réalité, mais la conscience doutant de celle-ci s’attachant à ses propres mécanismes et croyances avec autant de force qu’elle cherchera à imposer ses vues.

Ceci peut être car l’Être, même réalisé, peut manquer d’intelligence et de force ; mais il lui suffirait de voir l’illusion de cette conscience pour que s’amorce alors ce lent processus. Ainsi, si l’éveil de la Kundalini nous libère de l’autorité extérieure, il ne nous libère pas de notre propre autorité. Je devais réaliser cela quelques années plus tard par un choix de l’intelligence qui fit irrémédiablement tourner l’esprit vers le soi non intégré, pour sa propre fin, laissant les affaires du monde à l’être-présence, choix le plus adéquat pour permettre le développement de cet Être et la fin de cette conscience. Je dois dire que les limites de la conscience individuelle ont vite été atteintes, pour le peu qu’elles aient subsisté, ouvrant l’esprit sur une conscience collective toujours plus vaste et partagée entre plusieurs univers.

Ainsi, le monde m’est apparu par la suite sous quatre états principaux superposés les uns aux autres, ayant autant de réalité perceptible les uns que les autres, et dont je n’ai pu éviter la confrontation, existant dans chacun d’eux ; le monde de la matière que nous connaissons tous, le monde de l’énergie qui prend de multiples aspects, les mondes de la conscience dont font partie la conscience collective de l’humanité mais aussi celle de la nature, etc…, et les expressions divines, plus courantes que l’on ne croit.

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